L'AVENTURE ST AUBIN
Introduction:
Lorsque je me suis intéressé à la météorite de Saint-Aubin en 2015, j’étais loin d’imaginer que je serai, quelques années plus tard, à la tête du plus important projet de recherche jamais entrepris dans ce domaine en France. Le 1er avril 2018, nous avons découvert avec Alain Gallien et André Carpentier, la zone de chute de cette météorite restée secrète jusqu’alors. Vous allez découvrir, dans les lignes qui suivent, les événements qui ont été décisifs dans la réussite du projet ainsi que les implications de chacun dans l’aventure.
1ère partie:
Après un évènement douloureux dans ma vie survenu en 2014, et ayant besoin de m’évader de mon quotidien devenu très difficile, je me suis inscrit sur un forum spécialisé sur les météorites. J’ai toujours été passionné par ces objets tombés du ciel et trouver une météorite était un de mes plus grands rêves de gosse. En 2015, par l’intermédiaire de ce forum, je rencontre Jean-Luc Billard, un orpailleur du Gard qui avait découvert une météorite de 364kg dans la forêt domaniale du Mont-Dieu, le personnage me faisait rêver.
Nous envisageons rapidement de faire ensemble des recherches de météorites et l’option Saint-Aubin semble intéressante, mais nous n’avons que peu d’infos et rien de précis quant à la zone probable de chute. L’orpailleur, surnom de ce personnage, est à cette époque revendeur de détecteurs de métaux et il tente de me convaincre d’acheter un technipulse, détecteur de grosses masses à induction pulsée, mais malheureusement mes moyens financiers ne me le permettent pas.
A ce moment là, je m’intéresse également à la météorite de Juvinas qui me passionne car j’ai grandi dans un petit village à quelques kilomètres de son point de chute. Sur mon temps libre, je fais des recherches en montagne le long de l’axe probable de l’ellipse. Au cours d’une de mes sorties, je rencontre un monsieur avec qui une discussion s’engage et il m’explique que son beau frère qui habite au hameau d’en face a été témoin d’une chute de météorite avec sa soeur. Je récolte les deux témoignages indépendamment et les éléments concordent effectivement avec une possible chute de météorite, incroyable. Avec leur autorisation, j’engage des recherches chez eux, là ou l’objet aurait pu tomber, mais je n’ai à ce moment là qu’un détecteur classique adapté à la recherche des météorites peu profondes. Même si la probabilité est faible, je souhaite éliminer la possibilité que ce soit une météorite de fer ou un pallasite.
L’orpailleur me propose la location d’un détecteur technipulse, mais il n’y a pas de cadre fourni avec appareil, juste le câble qui fait office de bobine. Je devrais donc fabriquer un cadre moi même pour fixer le câble dessus. L’affaire est conclue, nous sommes d’accord sur le tarif de location et je fabrique un cadre sur patins, plus adapté qu’un modèle porté dans mon cas. Mes recherches ne portent pas leur fruit et je rend son appareil à l’orpailleur en lui laissant gracieusement le cadre que j’ai fabriqué, tant mieux si il peut l’utiliser. En tant que membre devenu très actif sur le forum météorite, je partage bien sûr toutes mes aventures en public.
Après cette première expérience de recherche au détecteur à induction pulsée, je m’intéresse aux appareils plus abordables que le technipulse et je commence alors à faire des essais avec une carte électronique achetée bon marché en Europe de l’Est. Les résultats se montrent rapidement très encourageants avec des performances nettement supérieures à celles du technipulse.
Mon cerveau bouillonne d’excitation quant à l’idée de faire des recherches à Saint-Aubin, et à force de survoler artificiellement la région de Romilly-sur- Seine grâce à Google Earth, une idée finit par s’imposer comme une évidence. Les sillons laissés dans le sol par le travail des agriculteurs forment des lignes parfaitement parallèles tracées avec une précision centimétrique grâce aux gps modernes.
Je n’ai plus de doute, il faut fabriquer un détecteur automatisé, capable de sonder le sous sol en parfaite autonomie tout en étant remorqué par les tracteurs pendant le travail du sol, si il y a des météorites dans la régions, nous finiront par les trouver de cette façon. Le cahier des charges se précise, le détecteur fera plusieurs mètres de large afin d’optimiser la surface couverte, les coordonnées gps des anomalies détectées seront enregistrées automatiquement et chaque point gps sera doublé d’une pulvérisation de peinture permettant sa matérialisation au sol.
En parallèle, je continue les recherches d’informations, ce projet se présente comme une énigme qu’il faut résoudre et de nombreuses zones d’ombre persistent encore. Je découvre dans la littérature scientifique qu’un calcul de masse pré-atmosphérique à été fait par le CEREGE d’Aix en Provence, et le chiffre est assez spectaculaire puisque l’estimation est de 20 tonnes. Je sais à ce moment là que 5 météorites ont été officiellement découvertes pour une masse totale de 472kg et que le fragment le plus lourd pèse 170kg et a été trouvé en 1968. Les météorites de fer résistant généralement bien à la traversée de l’atmosphère, il manquait de la masse dans l’équation. Tous ces éléments me persuadent qu’une chute très importante à du se produire dans la région de Saint-Aubin et que d’autres fragments restent probablement à découvrir.
Au hasard de recherches aléatoires qui m’orientent dans diverses directions, je tombe soudain sur un élément qui m’interpelle. Une annonce sur le site de vente le bon coin intitulée, «Vends météorite de Saint-Aubin 170kg». Je contacte le vendeur qui est une femme, elle dit être en possession de cette météorite et cherche à la vendre. Son père, monsieur F, a fait la découverte dans les année 60 et elle a hérité de l’objet après son décès. Incroyable, je suis sur la piste de la première météorite de Saint-Aubin grâce à une annonce sur un site de vente entre particuliers. Même si le détecteur autonome sur lequel je travaille n’est encore qu’à l’état de projet, je ne peux pas laisser passer l’occasion qui se présente et je tente de la convaincre de me laisser faire des recherches sur la parcelle ou cette météorite a été découverte. Je lui décris le fonctionnement et lui explique qu’avec ce procédé, la vérification des cibles pourra se faire en toute transparence avec elle puisque le système est conçu pour travailler en deux étapes.
-Dans un premier temps, le détecteur autonome sondera le sous-sol et enregistrera les coordonnées GPS des anomalies repérées, ce qui me permettra d’établir une cartographie.
-Puis dans un second temps, grâce à ces données je vérifierai les cibles en sa présence, ce qui permettra une totale transparence dans les recherches.
C’est un concept de prospection participative et équitable et je lui propose bien évidemment un partage digne de ce nom en cas de découverte, soit 50/50. La dame me remercie pour ces explications et me réponds que ce projet semble très intéressant, mais que nous ne discuterons de ces recherches qu’à la seule condition que je trouve un acheteur pour sa météorite de 170kg. Malheureusement la somme demandée est déraisonnable et elle reste inflexible.
J’entreprends alors des recherches sur le net pour tenter de localiser la zone de découverte de cette météorite, mais le monsieur est décédé et la fille s’est mariée, impossible à ce moment là de trouver des parcelles à ce nom, d’autant que dans cette région les remembrements sont réguliers. J’apprendrais d’ailleurs plus tard que cette dame ne possédait plus cette parcelle, ni aucune des parcelles sur lesquelles nous avons découvert l’ellipse de chute, elle n’aurait donc pas pu tenir son engagement si j’avais réussi à vendre sa météorite.
Plein d’enthousiasme et confiant quant à sa faisabilité, je partage le concept de détecteur autonome avec l’orpailleur qui m’explique alors de manière assez incongrue que cette idée est, selon ses termes, «complètement con». Toutefois, je ne me démotive pas et j’accepte malgré tout l’idée d’un matériel plus simple pour commencer, d’autant que ce détecteur autonome n’existe encore que sur le papier. Il m’explique qu’on prendra mon détecteur, celui fabriqué avec la carte électronique achetée en Europe de l‘Est, car il est plus performant que le sien, on prendra ma voiture car il ne veut pas rouler dans les champs avec la sienne qui est pourtant loin d’être neuve, et c’est moi qui prendrait tous les contacts car il souhaite rester très discret.
Mon enthousiasme ne peut pas masquer plus longtemps l’évidence de la situation, nous ne sommes plus en adéquation et les échanges deviennent toxiques. Nous prenons nos distances sans aucun compte à nous rendre mutuellement et je me réjouis de pouvoir enfin développer librement mes idées, ce qui est au fond mon droit le plus légitime et fondamental. Et puis il pourra lui aussi entreprendre ses propres recherches à sa façon, rien ne l’en empêche, d’autant que j’ai partagé avec lui le nom du premier découvreur, ce qui pourrait lui permettre de localiser précisément la zone de chute, il a donc les éléments de la réussite en main.
Enfin libéré intellectuellement, je peux laisser libre cours à ma créativité pour le développement de ce détecteur autonome que j’appellerais plus tard AMT pour «Automatic Meteorite Tracker». Mon père était ingénieur en électronique dans l’armée de l’air, j’ai baigné toute mon enfance dans les boites de composants électroniques et les circuits imprimés, c’est le moment de mettre cette lointaine expérience à profit. Comme expliqué plus haut, je suis dans une situation personnelle délicate et mes moyens financiers sont limités, je dois utiliser toutes les astuces possibles pour réduire mes dépenses, pas évident de développer un matériel technique dans ces conditions. Mais la passion m’anime et je m’accroche car je crois en mon idée.
Les débuts se font avec des montages fils volants dans une boite en carton et je progresse doucement mais sûrement. Je passe des soirées entières à peaufiner l’électronique de commande automatisée et à tester tous les accords possibles de bobines pour obtenir le meilleur rapport profondeur de détection/surface couverte. J’installe des piquets en bois dans le jardin qui me permettent de générer différentes configurations de bobines au sol, le travail est long et fastidieux, mais je n’ai pas le choix car au delà de la théorie, seule la pratique permet de valider un process. La machine prend forme et j’arrive finalement à accorder une très grande bobine de détection dont la sensibilité est assez homogène sur toute sa surface pour éviter les faux signaux. Je réussi à greffer sur cette machine des petits gps garmin que je modifie pour les commander grâce à un automate qui fait le lien avec la carte du détecteur à induction pulsée. La partie pulvérisation me demande également pas mal d’essais et de mise au point, mais à force de persévérance j’arrive au résultat voulu. Quelle satisfaction que d’avancer vers un objectif qui semblait au début presque inaccessible avec les maigres moyens financiers mis en œuvre.
J’ai depuis quelques temps sympathisé sur le forum météorites avec un certain Alain Gallien, l’échange est plutôt agréable et l’homme semble aussi passionné que moi. Ma volonté d’aller sur le terrain me pousse à proposer à Alain d’entreprendre des recherches, et je fais également découvrir ma passion à André Carpentier, un habitant du village voisin avec qui j’ai sympathisé depuis quelques années. Le trio se forme grâce à mon enthousiasme. Je leur parle de la météorite du Mont-Dieu, je sais ou la trouvaille de la masse de 364 kg a été faite, et les moyens matériels nécessaires pour entreprendre de telles recherches sont assez basiques puisque l’histoire prouve qu’un détecteur technipulse suffit et mon détecteur est nettement plus performant.
Le projet est intéressant, mais le contexte est sensible, surtout après un procès de 4 ans qui a donné raison à l’orpailleur, le laissant repartir avec la météorite sans aucune condition de partage ni avec l’état (découverte faite en forêt domaniale), ni avec les autre personnes impliquées dans la découverte. Je décide toutefois de prendre contact avec l’ONF afin de faire une demande d’autorisation de recherche pour l’équipe, et contre toute attente je reçois une réponse plutôt encourageante qui m’indique que cette autorisation pourrait nous être accordée, à condition que les recherches soient supervisées par un organisme officiel. Je contacte alors le muséum national d’histoire naturelle de Paris, mais malgré mes relances, ma demande reste sans réponse. Nous comprenons alors à nos dépens que les autorisations de recherches au Mont-Dieu risquent d’être très difficiles à obtenir.
A cette époque là, les projecteurs sont tournés vers une météorite de fer découverte en Suisse, la météorite de Twannberg. Des permis de recherche sont régulièrement délivrés et il nous semble alors possible à nous aussi de prendre part à cette aventure. Mon détecteur automatisé pourrait venir en aide aux recherches qui s’élargissent selon des théories de zones de probabilité de plus en plus optimistes. Alain a un contact qui nous redirigera vers un Suisse responsable du muséum de Berne, au coeur des opérations de recherche, quelle aubaine. Je suis mis en relation directe et j’explique à cet homme le projet de détecteur sur lequel je travaille. Un dialogue s’installe et il me promet déjà de pouvoir nous faire venir en renfort sur des recherches, sous sa responsabilité, c’est inespéré. Mais nous devrons nous rendre à l’évidence, les Suisses nous ont refermé la porte au dernier moment, ils auront sûrement préféré travailler avec les locaux dont certains en ont fait une activité à plein temps, il y avait donc un conflit d’intérêts évident.
Lassé de ces difficultés administratives, c’est à ce moment de l’histoire que je décide de partager avec Alain et André mon projet de recherche de la météorite de Saint-Aubin sur lequel je travaille depuis déjà un bon moment. C’est une météorite Française et la zone de probabilité est situé sur des terrains privés, nous ne nous heurterons pas cette fois aux difficultés administratives. De plus, il est fort probable que l’ellipse de chute se répartisse sur des parcelles appartenant à plusieurs propriétaires, impossible donc de ne pas réussir à convaincre au moins l’un d’entre eux. Après deux impasses, mes deux compagnons d’aventure accueillent très favorablement l’idée, d’autant que le prototype de détecteur automatisé est bien avancé et semble vouloir respecter le cahier des charges que je m’étais imposé. Alain dira même que mon idée est géniale, ce qui contraste pas mal avec les premiers commentaires de l’orpailleur.
André m’accompagnera sur quelques-uns des essais que nous effectuerons ensemble dans un champ non loin de chez nous, cela lui permet de se rendre compte concrètement des capacités de la machine qui prend forme. Tout avance bien, et je décide alors de franchir une nouvelle étape en prenant contact avec les agriculteurs d’une zone très large que nous avons déterminée grâce aux données fournies par Emmanuel Dransart qui deviendra plus tard le scientifique de l’opération. Même si il avait déjà été en contact avec Alain par le passé, Emmanuel ne nous donnera pas plus d’informations que celles qu’il m’avait délivré auparavant alors que je n’avais pas encore partagé mon projet avec Alain et André. Il m’avait d’ailleurs confié à cette époque qu’une autre personne du milieu météoritique lui avait demandé les mêmes informations peu de temps avant moi. A ce moment de l’aventure, nous jouons donc à armes égales avec un éventuel concurrent inconnu, mais c’est sans compter sur mon détecteur géant et autonome qui doit faire la différence sur le terrain.
J’enchaîne les coups de téléphone, la tâche n’est pas évidente au début et j’ai l’impression qu’on me prend parfois pour un illuminé, mais je persévère. La liste est longue, le contact n’est pas toujours évident, il faut téléphoner aux heures des repas, laisser des messages, rappeler, expliquer… Après avoir bien dégrossi le travail, je demande à Alain et André de m’aider un peu pour finir ces prises de contact. André refuse. Alain rechigne au début, il avance l’argument que son accent marseillais risque de ne pas mettre les personnes en confiance. J’insiste un peu car je fais la locomotive depuis des mois, et à cette époque là je suis à mon compte et ma compagne est en situation de handicap, les journées sont courtes. Alain accepte finalement, je partage avec lui l’expérience déjà acquise depuis environ deux semaines, sa participation est bienvenue.
Début 2018, alors que mon prototype de détecteur est enfin fonctionnel et que nous avons établi le contact avec les locaux, j’informe Alain et André qu’il est temps d’aller sur le terrain pour rencontrer ces gens. Nous discutons de l’intérêt de prendre le détecteur avec nous, les parcelles ne sont à priori pas disponibles d’après le calendrier des cultures de la région, mais mon appareil est opérationnel, alors si l’occasion se présente, nous ferons des essais de validation en situation. Nous organisons un rendez-vous commun dans un bar avec les agriculteurs, et nous chargeons mon détecteur sur le 4X4 de André qui nous servira à faire ce voyage. Le rendez-vous se passe bien, nous obtenons l’aval des agriculteurs quant au projet, mais les surfaces sont immenses alors tant que nous sommes sur place il faut essayer de resserrer la zone de recherche.
Au hasard de nos aller-retours sur les routes de la région, nous croisons un individu qui vient à notre rencontre et nous interpelle. Nous ne sommes pas dans la plus grande discrétion avec les éléments du détecteur sur la galerie du 4X4 immatriculé en Ardèche, et les contacts pris auprès des agriculteurs ont sûrement fait leur effet. Il a entendu parler de nous et il nous explique qu’en labourant un de ses terrains, il accroche régulièrement au même endroit un objet qui semple bien ancré dans le sol puisqu’il casse les pointes de ses socs. Il nous accompagne jusqu’à sa parcelle ou je sonde la zone en question avec mon détecteur whites TM800, un vlf grosse masse assez ancien mais maniable et bien adapté à ce type de recherche. Malgré mes efforts, je ne détecte rien de métallique, l’objet était peut être une ancienne borne, nous comprendrons plus tard que le sous sol crayeux est extrêmement dur et que le moindre objet planté dans la craie se transforme en ancre redoutable.
Nous n’étions pas encore reparti, qu’un autre agriculteur passe à côté de nous et emprunte un autre chemin. Le premier agriculteur nous explique qu’il va sûrement revenir lorsque nous serons plus tranquilles, ce qui se produit effectivement. Lui aussi est au courant de nos recherches et il finit par nous avouer qu’il a trouvé une météorite lorsqu’il était jeune, et qu’elle est encore chez lui. Il nous propose de nous en ramener un morceau d’une dizaine de kilos qu’il a réussi à détacher avec une masse. L’objet extra-terrestre passant de main en main, le dialogue s’installe, nous savons que nous sommes sur une bonne piste et il faut absolument que cet homme nous indique le lieu de sa découverte. Il ne s’y oppose pas, mais il réclame en échange qu’on lui vende sa météorite dont il demande une somme aussi déraisonnable que la dame sur son annonce. Au cours de la discussion, je remarque qu’il regarde régulièrement dans une direction particulière, un réflexe dont il ne se rend probablement pas compte et à la fin de notre échange, en pointant du doigt la direction en question, je lui dis que c’est là bas qu’il a trouvé sa météorite. A ce moment là l’homme ne dit plus un mot, je sent qu’il est pris au dépourvu. Nous terminons cordialement cette discussion sans engagement quant à sa proposition car nous ne pouvons pas acheter sa pièce, et trouver un acheteur sera impossible à ce tarif. Une fois l’homme reparti, nous sautons dans le 4X4 de André et prenons immédiatement la direction du village au loin vers lequel l’homme regardait.
Nous sommes le samedi 31 mars 2018 en fin de journée, le village que nous traversons est désert, mais nous apercevons au loin dans un champ un tracteur en plein labour. Nous sommes bien fatigués par cette journée riche en rebondissements mais André qui est au volant propose malgré tout d’aller à sa rencontre. Nous avançons jusqu’au bout du champ ou le tracteur qui est déjà reparti sur un aller/retour devra repasser. Plus il s’approche, et plus l’engin est impressionnant. Nous sortons du 4X4 et le tracteur s’arrête à notre hauteur. La portière s’ouvre et un homme décidé au regard foudroyant descend les marches de son monstre mécanique pour arriver à notre hauteur. Nous sommes trois, mais nous n’avons pourtant pas l’impression d’être en position de supériorité. Un peu déstabilisé, je me charge tout de même d’engager la conversation, et d’expliquer dans les grandes lignes la raison de notre présence à cet homme qui écoute attentivement sans dire un mot. Au bout de quelques minutes, la glace se brise et nous finissons par discuter tous les quatre puis il nous demande qui est le chef du groupe. A cette question nous répondons qu’il n’y a pas de chef et que nous sommes un groupe de copains, mais officieusement je suis leader du projet, vous l’aurez déjà compris.
Le contact est établi et l’agriculteur qui se prénomme Hervé nous autorise à faire des recherches sur ses terrains. C’est à ce moment là que je décide d’utiliser mon joker, et je demande à Hervé si il sait ou pourraient se trouver des parcelles ayant appartenu à monsieur F dans les années 60. Et là, c’est un moment qui marque un tournant dans l’aventure car il nous répond positivement en nous indiquant une de ses parcelles et nous propose même d’y faire immédiatement nos essais. La journée à été longue et mon détecteur demande deux bonnes heures de montage et réglage, nous attaquerons le lendemain mais je sais à cet instant que tous ces efforts depuis 2015 ne sont pas vains car nous sommes enfin sur une piste très sérieuse vers l’ellipse de chute de la météorite de Saint-Aubin.
La lendemain, dimanche 1er avril 2018, aux premières heures du jour nous sommes prêts pour le montage du détecteur sur la parcelle de 10 ha ou l’autorisation nous est donnée de faire les essais, cette fameuse parcelle qui devait appartenir à monsieur F. Je suis très concentré et sous pression malgré l’excitation car avec tout le travail que j’ai effectué depuis ces deux années, tout repose sur mes épaules. Alain et André suivent mes instructions de montage et tout se passe bien, puis nous arrivons à l’étape du calibrage de l’appareil. Des faux signaux apparaissent rapidement, la tête de détection géante de 7,4m de large capte les interférences électromagnétiques émise par les lignes électriques à très haute tension en provenance de la centrale nucléaire voisine. Je réussis finalement à trouver un réglage adapté, mais il faut baisser la sensibilité. Ce premier détecteur est imparfait, il est trop souple, difficile à déplacer, sensibles aux interférences électromagnétiques, mais il semble toutefois vouloir fonctionner.
Alors nous attelons la machine derrière le 4x4 et le test débute. André roule doucement, nous suivons l’appareil en marchant à côté et au bout de quelques minutes, un fort signal se fait entendre, le gyrophare installé sur le capot supérieur de l’appareil se met en route, la pulvérisation de peinture marque l’emplacement au sol et le gps enregistre les coordonnées de la cible. Pour moi c’est très concluant, peu importe l’objet détecté, je suis tellement content de voir le résultat de tout ce travail, c’est déjà une immense récompense. André avance un peu pour dégager la tête de détection géante, j’arrête l’AMT et je prend mon TM800 pour localiser plus précisément la cible. Le signal est fort et rapidement j’identifie un objet long, très long, si long qu’il n’en finit pas. Dans l’axe de l’objet, au bord du champ, un panneau jaune nous indique qu’un pipeline passe sous nos pieds, nous apprendrons plus tard qu’il arrive directement de Russie et que du gaz voyage à l’intérieur. Pas de pétrole donc pour notre première trouvaille, mais le détecteur fonctionne et ma satisfaction est totale.
L’appareil est conçu pour une utilisation en mode automatique derrière un tracteur, mais je me rend compte que des évolutions seront nécessaires pour arriver à ce que ce mode de fonctionnement soit possible. Pour l’instant ce n’est pas un problème, nous devons nous adapter aux circonstances pour faire cet essai et puis nous avons le 4x4 de André.
Après cette première cible bien terrestre mais qui valide le fonctionnement de mon appareil, nous reprenons les essais. Je remets l’AMT en route, André remonte au volant de son 4X4, et c’est reparti. Le détecteur bouge un peu mais n’émet aucun faux-signal, nous le suivons toujours en marchant à côté avec Alain. Les parcelles sont généralement longues de plusieurs centaines de mètres dans cette région, nous progressons pendant quelques minutes jusqu’à avoir un second signal à peu près à mi longueur. Même opération que pour le pipeline, André avance un peu pour dégager la zone de détection, j’arrête l’AMT, et je rallume mon TM800. Cette fois la localisation est plus difficile, la cible ayant généré le signal est toutefois repérée mais elle est beaucoup plus petite qu’un pipeline. J’insiste sur la surface sondée par la tête de détection de l’AMT, mais rien d’autre ne réagit, la localisation est donc validée, il va falloir creuser.
Nous sortons le peu de matériel que nous avons avec nous, l’équipement est maigre, nous étions partis pour des prises de contact et des essais de détecteur si l’occasion se présentait, mais nous sommes déjà en situation de prospection réelle. La terre est assez souple, nous creusons sans problème sur les trente à quarante premiers centimètres avec la petite pelle de André, mais aucun objet en métal n’apparaît et le signal est toujours présent. Il vas donc falloir creuser plus profondément mais un problème inattendu se présente à nous.
Au delà des trente à quarante centimètres de terre arable souple et légère, nous découvrons une couche blanchâtre et compacte. Nous apprendrons plus tard que c’est une des caractéristiques de la champagne crayeuse, un sous sol capable de retenir les eaux de pluie comme une éponge et de les restituer plus tard, mais cette couche de craie très épaisse est d’une incroyable dureté. Attaquer cette roche mi dure avec nos moyens du bord se transforme en un véritable défit qu’il faut relever si nous voulons découvrir ce qui se cache sous nos pieds. Nous progressons doucement, centimètre par centimètre, le signal est toujours présent dans la craie compacte, et comme nous avons le temps, animés par l’excitation nous commençons à échafauder des théories sur la nature de l’objet que l’on pourrait découvrir.
La craie s’est parfaitement re-compactée au dessus de l’objet, et nous savons qu’un aérodrome a été bombardé non loin de là pendant la seconde guerre mondiale. Un obus aurait-il pu finir sa course à cet endroit précis ou nos maigres outils attaquent ce sol dur en ce moment même? Il faut rester prudents, sauter sur une munition non explosée n’est pas vraiment au programme de la journée qui a bien commencé. Au fil de notre progression dans la craie, des particules de rouille font leur apparition, signe qu’un objet probablement ferreux se trouve un peu plus bas. L’excitation ne fait que monter car doucement s’installent deux théories probables quant à la nature de l’objet. Soit ce pourrait être un obus, ce qui reste pour moi à cet instant présent la théorie la plus valable, d’où ma grande prudence, soit pourquoi pas ce pourquoi nous sommes là, ce pourquoi je bosse depuis deux ans. Mon cerveau refuse de croire en cette deuxième hypothèse que Alain va lui au contraire défendre très rapidement. Et si nous étions en train de creuser sur une météorite!!?
La progression dans le sol crayeux continue doucement, et la profondeur qui approche maintenant les soixante dix centimètres nous demande de nous transformer en sculpteurs avec un marteau et un burin car les bords du trous limitent considérablement l’aisance de nos mouvements. Celà fait déjà bien plus d’une heure que nous sommes tous les trois penchés sur ce trou lorsque nous butons enfin sur un objet rouillé mais bien réel. Nous dégageons sa face supérieure et une forme un peu irrégulière commence à se dessiner. Alain est très enthousiaste à ce moment là, c’est une météorite j’en suis sûr dira t’il, alors que je reste beaucoup plus modéré tant je n’ose croire possible que je puisse réaliser ce jour là un de mes plus grands rêves. Je continue de penser qu’il puisse s’agir d’un obus, peut être que les irrégularités palpables sont dues au positionnement de l’objet et que nous distinguons une des arêtes du fond.
Le dégagement des côtés commence à donner du volume à cette chose qui devra bien finir par accepter de quitter son antre car le suspense qui nous habite depuis depuis presque une heure et demie doit laisser place au dénouement final. Je sens que l’objet bouge sous mes doigts, je suis penché dans cette cavité que nous venons de creuser et qui est devenu presque familière depuis que nous nous tordons dans tous les sens pour trouver la position de travail la moins inconfortable. Mes bras sont tendus au fond du trou lorsque le bloc de métal rouillé d’une quinzaine de kilos accepte enfin de lâcher prise et de remonter à la surface entre mes mains, il n’y a plus aucun doute possible, nous venons de trouver la première météorite de Saint-Aubin et j’ai l’honneur de l’avoir extraite du sol ou elle nous attendait depuis 55000 ans. Ce moment inoubliable restera pour moi l’un des plus intenses de cette aventure. A suivre...
FIN DE LA PREMIERE PARTIE